Le plus beau métier du monde

Nonobstant ce que ça suppose comme pas bientitude dans la tête de chercher à susciter l’adhésion des foules en se cachant derrière un masque appelé personnage, j’adore ce boulot.

J’aime, dans ce moment suspendu de la représentation, cette incroyable et illusoire maîtrise du temps et de l’espace qui nous est offerte.

J’aime que les spectateurs puissent croire à la vie de nos personnages au-delà du plateau. Cette incroyable convention théâtrale qui permet aux spectateurs de faire comme si, pour le temps de la représentation, les mots des hurluberlus sur scène avaient une réalité, comme si de la vie se déroulait où ne défilent que des mots – ou des évocations.

J’aime cet inouï pouvoir de toucher des inconnus, les faire rire, rêver… me dire que si la fable est juste, et bien contée, elle les accompagnera, enrichira leur regard[1].

J’aime me dire que j’ai cette capacité de donner de la joie à mes contemporains.

J’aime me demander si j’arriverai à jouer ça, apprivoiser un personnage, me redécouvrir dans cette fiction d’humain ou le tirer à moi. J’aime l’efficacité de ma mémoire, et sentir les mots couler de ma bouche.

J’aime le costume, cet exosquelette qui pose le personnage sur mon corps pour mieux le faire rentrer à l’intérieur. J’aime les théâtres, ces espaces souvent baroques où se croisent des fantômes de spectacles, des acteurs en action et des spectateurs en détente.

Quand je suis en forme, je m’émerveille de la façon dont les phrases m’investissent la totalité du corps, et de cette manière d’inventer les syllabes pourtant apprises par cœur.

J’aime mon métier, malgré le mal que j’ai à m’y trouver une place.

J’aime bien aussi, même si ça ne m’arrive pas tous les matins, me laisser aller à un brin d’autosatisfaction !

Notes

[1] J’ai longtemps cru qu’en les amenant à se poser les questions justes, on pourrait améliorer le monde, j’avoue que ma foi en mes possibilités d’y parvenir a un peu décru.

Commentaires

1. Le jeudi 29 avril 2010, 06:54 par mirovinben

Dans ce monde d’apparence où tout le monde joue la comédie à tout le monde, pas facile d’en faire son gagne-pain. En attendant tu t’enrichis sans aucun doute des émotions, expressions, expériences des personnages et des auteurs qui les ont créés.

Juste une question, est-ce facile de se nettoyer la tête de ce qui n’est pas enrichissant après l’extinction des feux de la rampe ?

2. Le jeudi 29 avril 2010, 18:32 par Vent du Nord

Hmm, je pourrais me lancer dans une vaste description de la catharsis, en disant que, précisément, une des fonctions de la représentation réside dans la purgation des passions, mais ça parle plus du spectateur que des comédiens.

Du point de vue de l’homme de scène, il s’agit d’abord d’une performance. J’ai eu un metteur en scène qui décrivait le comédien de théâtre comme un athlète de la mémoire, entendu dire qu’une représentation était aussi fatiguante que huit heures d’usine… Il est vrai, sur ce plan, que la concentration que demande la représentation crée une tension physique et psychologique importantes qui fait que l’effort est condensé.

On pourrait aussi faire la comparaison avec une activité sportive. Quand on a transpiré pendant deux heures, on en ressort vidé. Le comédien qui sort de scène est d’ailleurs particulièrement vulnérable : il s’est vidé sur le plateau, et n’a plus ses défenses face à ses interlocuteurs.

Quant au jeu social, je ne pense pas qu’il soit de nature à créer une concurrence déloyale. En revanche, cette partie de ton commentaire soulève un point assez douloureux pour certains d’entre nous. Comédien fait partie de ces rares métiers pour lesquels la compétence est floue. Les professionnels sont court-circuités, en de nombreux endroits, par des amateurs. Particulièrement au cinéma, où l’on exalte à l’occasion leur vérité, tellement plus grande que celle d’acteurs professionnels… Et si, de quelqu’un qui se dit violoniste, on peut rapidement vérifier s’il sait jouer de son instrument, le comédien étant son propre instrument, chacun est fondé à penser que n’importe qui peut en jouer puisqu’après tout, nous connaissons notre corps, n’est-il pas ?

Et prétendre en vivre, quand on parle d’un métier qui fait rêver tout le monde, c’est quand même pousser le bouchon. Quoi, vous jouez, c’est vous-même qui le dites, et vous prétendez qu’on vous rémunère pour ça ?. Ou, bien plus fréquemment : C’est formidable, ce que vous faites. Et sinon, dans la vie, vous faites quoi ?

Bon, te voilà bien puni, mirovinben, ma réponse va bientôt être plus longue que le billet :-D

3. Le jeudi 29 avril 2010, 21:56 par Agaagla

ben dis donc, je n’aurais jamais songé au court-circuitage, vu sous cet angle-là…

parce que bon, en tant qu’amatrice, et ce, jusqu’au sens le plus péjoratif du mot, j’ai une telle conscience du manque de compétence…

sinon, avant d’avoir lu, je me suis benoîtement demandé pourquoi diantre tu éprouvais le besoin de parler de mon métier à moi - chacun voit midi à sa porte :)

et encore sinon, moi aussi, j’dis rien (enfin, je disais rien), mais je suis !

et une dernière fois sinon, t’as pas de chance, mes qualités de commentatrice constructive se sont évaporées - c’est bien pour ça que je n’avais rien dit jusqu’ici - j’aurais même peut-être pu m’abstenir d’en sortir, du silence, j’y retourne immédiatement !

4. Le samedi 1 mai 2010, 23:39 par Vent du Nord

Pff, n’importe quoi ton dernier paragraphe Agaagla. Un commentaire ici est par essence constructif, puisqu’il suggère que ce que j’y dis suscite de l’intérêt :-p

Tiens au fait, n’ayant pas de courriel direct pour jjcoqueluche, je ne l’ai pas invitée personnellement, mais n’hésite pas à lui passer l’adresse, si tu penses que ça peut lui dire de venir y voir…

Bienvenue ici, en tout cas !

Sur le court-circuitage, j’aurais aussi pu citer les différents organisateurs qui préféreront faire venir une compagnie amateur, tout de même bien plus économique que des imbéciles naïfs optimistes qui ont la prétention de vivre de leur art…

5. Le dimanche 2 mai 2010, 08:29 par mirovinben

VdN(*), tu écris “Un commentaire ici est par essence constructif, puisqu’il suggère que ce que j’y dis suscite de l’intérêt”. Je suis d’accord mais crains, de mon côté, que mes commentaires (ici ou ailleurs) soient aussi trop souvent le reflet de mon égocentrisme.

C’est la loi du genre sans doute puisque la lecture d’un billet peut renvoyer à nos propre souvenirs, peurs et expériences.

Et j’ai souvent du mal à percevoir si certains textes (je parle en général, pas forcément pour ici) sont juste un constat lucide ou un appel au secours. Dans ce second cas, alors, comment y répondre de façon pertinente ?

(*) VdN pour Vent du Nord. J’aime bien les pseudos à 3 lettres.

6. Le lundi 3 mai 2010, 09:23 par Vent du Nord

VdN ? Je n’y aurais pas pensé :-P

Les commentaires sont le reflet de ce qu’on a la sensation d’avoir quelque chose à dire sur un sujet, d’une manière générale. Et c’est précisément ce qui me fait plaisir – voire me flatte. Cette idée que ce j’écris trouve un écho chez mon lecteur, lui parle de quelque chose à lui et lui donne envie de mettre ce quelque chose dans mon pot à moi.

On ne se lance pas dans un métier artistique si on ne cherche pas le dialogue. Je sais, pour ma part, que ce que je reproche en premier lieu à un œuvre qui ne me plaît pas, c’est de ne pas me parler à moi. Il m’est arrivé de pester contre certains musiciens de jazz, dont la façon d’être en scène me donnait le sentiment d’être un intrus, limite, dans leur façon d’être ensemble, leur visible plaisir de jouer m’excluant ostensiblement.

Quant à la lucidité de mes textes, je serais bien en peine de la qualifier – mais pour les appels au secours, je ne prendrais pas le risque de les lancer sur le ’ternet : j’aurais véritablement peur de la réponse que j’y pourrais recevoir. Paradoxalement, si je geins un peu, c’est parce que je vais nettement mieux, à tous points de vue qu’il y a un an – et que je cherche à tordre le cou de ce qui m’a plongé dans un marasme qui me guette toujours… Et ce qui me plaît, c’est, précisément, de voir que ce qui m’occupe l’esprit parle à d’autres – c’est infiniment rassurant.

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